J’invite tous ceux qui ont envie de réfléchir à la suite de Mavoix à prendre un peu de recul par rapport à leur expérience personnelle. Il serait bon de ne pas avoir une approche simplement émotionnelle, qui ressemblerait grosso modo à ça :
« J’ai trouvé cette expérience tellement géniale, tellement immense, tellement humaine, avec toute cette co-construction, toute cette entraide, toute cette volonté commune… J’ai entendu tellement de gens nous dire à quel point ils comptaient sur nous, à quel point l’idée était super, à quel point il était important de continuer… L’originalité de Mavoix, ce vent de nouveauté démocratique est réellement quelque chose d’historique ! Alors oui ! Il faut que ça continue ! »
Soyons méthodique et essayons de dépasser nos prismes individuels, qui sont très partiaux.
Il y a six fois plus de gens qui ont voté pour le parti animaliste lors de ces élections et je serais prêt à parier qu’il y a plus de gens qui croient à l’existence des ovnis en France que de gens qui ont voté Mavoix. Ce n’est pas grave. Mais il faut en être conscient.
Comme l’a souligné Grognard avec ses mots, Mavoix, au vu de sa portée limitée, s’inscrit simplement dans un faisceau de propositions qui ont toutes pour but de remettre les citoyens au centre de la vie politique (et de changer de modèle culturel).
Il faudra insister là-dessus, et ne pas nous extraire de ce faisceau.
En se déconnectant de ces propositions, en se déconnectant de l’histoire de la démocratie directe (de l’Athènes classique à la Commune, des syndicats du XIXe aux soviets, du mouvement des indignés au mouvement des places en Grèce, etc), je pense que Mavoix se couperait de l’essentiel.
Il faut maintenir ce lien et ne pas se mettre en avant de manière artificielle (« c’est historique ce que nous avons fait »).
Le plus dur, dans une proposition du type de Mavoix, c’est de franchir les paliers. C’est de trouver une organisation nouvelle qui, peut-être, modifiera un peu la nature du projet initial. Accepter de changer de forme, de statut, de devenir une institution, pour que la finalité recherchée (ici la démocratie directe) puisse réellement s’incarner et se confronter amplement à la réalité (qui est plus ingrate que notre imagination).
Les mouvements récents qui ont eu de l’ampleur ont tous achoppé sur cette transformation charnière (Nuit Debout, Indignés, Occupy, Mouvement des places etc.) et ont disparu, parfois brutalement.
Une institution, ce n’est pas un gros mot. C’est une création collective, organisée, qui est en mesure de produire du sens et des pratiques sociales, tout en survivant à ses « membres » ou aux individus qui la composent. Pour devenir une institution, quelque chose de pérenne, il faut savoir durer dans le temps, et pour cela, il faut construire des choses solides.
La finalité de Mavoix n’était pas de faire élire un porte-voix à l’Assemblée, mais de donner aux citoyens la possibilité d’être acteurs des lois. L’élection n’était qu’un moyen.
En se concentrant uniquement sur les dates d’élections (rendez-vous en 2020, en 2022 etc), on jouera un jeu de chapelle politique, très peu différent de celui d’un parti classique.
Il faut donc réfléchir à l’objectif.
Les premières questions qui me viennent sont celles-ci :
— Quelle maintenance demande la plate-forme pour fonctionner ? Est-il envisageable de la faire fonctionner ?
— Quelles pratiques locales doivent nécessairement accompagner cette plate-forme ?
Si nous croyons apporter de la démocratie directe simplement avec des outils numériques, demandons d’abord pourquoi tout le monde ne lit pas aujourd’hui Dante et Platon dans le texte, alors que leurs textes sont accessibles à tout le monde, et pourquoi les gens préfèrent plutôt, pour une majorité, faire des paris sportifs, jouer en ligne, regarder du porno ou Norman sur Youtube.
Je parlais de questionnement de fond : il est par exemple dommage que Mavoix n’ait pas débattu de la question du numérique plus en profondeur.
Idées générales de pratiques : Ateliers d’écriture de lois (sur le modèle des ateliers constituants à Paris), réunions de débats sur des espaces publics (sur des places, avec des micros, ou dans des lieux symboliques, stades, églises etc), assemblées générales qui fonctionneraient de manière démocratique et qui pourraient donner des exemples de pratiques à reproduire sur les lieux de travail ou ailleurs.
— Quels types de contacts faut-il établir avec les associations ou les collectifs citoyens à visée démocratique ? Faut-il penser à des rapprochements plus précis ? Faut-il commencer à en faire une liste précise ?
— Y a-t-il moyen de rédiger en commun des textes théoriques plus solides (sur le modèle, dans la pratique, de la rédaction de la profession de foi) ? Pour rendre la finalité de Mavoix plus claire ? Pour l’approfondir ? Pour aller au-delà de l’aspect technique du système de porte-voix ?
J’ai souvent demandé que l’on définisse la démocratie beaucoup plus en profondeur, que l’on apporte des références historiques, que l’on donne de la matière à notre programme, qui était un programme de forme et non pas de fond. Je ne suis pas sûr que cela intéresse tout le monde. Mais le code informatique n’intéresse pas tout le monde non plus, et nous avons quand même des gens qui ont réalisé la plate-forme de collecte de dons, le site, etc.
Un dernier point. Je sais que la logique du « 1+1+1+1… » a le vent en poupe. Sur le modèle de la fable sentimentale du colibri. Nous étions 0 il y a trois ans. Nous sommes maintenant 12 000. Et en en parlant chacun à notre voisin, à notre petite sœur, à notre boulanger, nous serons 15000 puis 100000 puis 500000, puis 1 million etc. En apportant notre petite goutte d’eau, nous finirons par créer un océan. Le bouche à oreille, la petite gradation, les unités qui s’ajoutent, une à une, patiemment, petit à petit, comme sous l’effet d’une prise de conscience progressive, d’une vague de vérité, feront grossir les rangs de la citoyenneté.
Je ne crois pas une seconde à ces histoires. Parce qu’elles ne prennent pas en compte, justement, la différence de nature entre les paliers d’une société. La loi, la contrainte, les institutions politiques, l’innovation technique (qui toujours court-circuite les systèmes sociaux), les industries de masses, le mimétisme social, les rapports de force entre classes sociales, et mille autre choses, ont un poids qui dépasse les petites gradations, un poids qui est parfois écrasant et qu’il faut savoir pourtant mesurer.
Est-ce que les gens utilisent un smartphone, se serrent la main pour dire bonjour, vont au travail le matin, partent en vacances sur la Méditerranée massivement, vont voir « Titanic » ou « Bienvenue chez les Chtis », boivent du café, paient leurs impôts, simplement parce qu’une personne a commencé à le faire, puis ensuite deux, puis quatre, puis huit, petit à petit, 1+1+1, main dans la main, à force de petites additions locales… ? Est-ce qu’on parle français parce qu’une personne a commencé à le faire puis deux puis dix puis mille ? Est-ce que les phénomènes sociaux se généralisent simplement par propagation au niveau individuel et microscopique ?
Il est possible de montrer que non.
Est-ce que les gens voudront vivre dans une démocratie réelle parce que cent petits colibris volontaires de Mavoix auront transmis la foi à cent autres petits colibris volontaires puis à mille autres ?
Je pense qu’il est important de se poser la question. Histoire de ne pas croire en des fables et de rester les pieds sur terre. Non pas pour perdre notre imagination. Mais au contraire pour la rendre réellement efficace. Et pour construire quelque chose de viable, pas simplement des fantasmes.