Ci-dessous une description macroscopique de comment je vois les choses et quelques réflexions pêle-mêle.
Chantier A : « Code is Law. Law is Code »
La procédure de création de la loi doit rattraper son (énorme) retard sur l’état de l’art de l’ingénierie logicielle.
Tout nouveau procédé sera infécond et uniquement virtuel s’il ne peut pas s’inscrire dans la réalité de l’existant. L’existant - la « république papier » - doit donc rejoindre l’état de l’art pour devenir une « république logicielle ».
La loi doit devenir du code (dans le sens informatique du terme).
L’existant du processus législatif dans son intégralité doit être accessible en ligne, ouvertement et publiquement, à des formats/via des APIs qui en permettent l’automatisation et la création d’outils/d’un écosystème dirigé par et pour les citoyens.
Le processus législatif doit s’insérer dans une forme d’intégration continue.
- Qu’est ce que l’intégration continue pour la loi ?
- Quels concepts ? Quelle grammaire ?
- Quels outils ? Quels formats ? Quels livrables ?
Cette étape peut éventuellement aboutir à un livrable « lisible et accessible à un humain » (ex : les sites générés par SedLex), mais pas nécessairement.
L’important est de numériser/automatiser/APIfier/standardiser le processus législatif sous une forme logicielle moderne et interopérable. Une fois cela fait, créer des sorties lisibles pour un humain sera trivial et l’écosystème pourra déveloper/proposer toutes les versions possibles et imaginables.
Si on arrive à effectuer l’ingénierie inverse de la fabrique de la loi pour la faire rentrer dans un processus de génie logiciel correctement instrumenté/documenté, alors nous aurons le meilleur levier pour que les développeurs s’emparent de ces sujets et soient productifs dans le chantier B.
Les projets qui rentrent dans cette étape sont par exemple :
- La fabrique de la loi
- parlapi
- ArcheoLex
- DuraLex
- SedLex
- panoptique
L’important c’est de créer/formater de la donnée programmable qui sera le socle indispensable pour le chantier B.
Chantier B : Innover
On se base sur l’existant, qui est maintenant « programmable » grâce au chantier A, pour créer/tester de nouvelles méthodes :
- Nouvelles méthodes de vote, nouveaux types de scrutins
- Vote au jugement majoritaire
- Nouveaux outils de débat
- Débat vidéo en ligne
- Débat IRL augmenté avec des outils numériques
C’est le chantier qui est le plus souvent discuté sur ce forum et en général car c’est le plus libre/accessible/enthousiasmant. Mais c’est un pétard mouillé si le chantier A n’est pas réalisé correctement.
Chantier C : Ecosystème
Les gens sont en quête de sens.
Et il va vite falloir permettre de différencier les vrais projets citoyens des initiatives privées.
Si vous allez à quelques évènements « civic tech », vous constaterez qu’on fait régulièrement débattre/interagir sans distinction des mouvements citoyens et des sociétés/associations, à savoir des structures privées aux intérêts privés.
« Qui sera l’IBM de la république ? » m’a-t-on un jour demandé.
Si vous voulez encore vous faire peur, allez lire « comment la civic tech bouleverse l’engagement des marques ? »
Dans ce contexte, comment créer un écosystème technologique qui grandit sans user des méthodes classiques du néo-libéralisme (voir néo-féodalisme) ambiant/dominant ? (et je pose cette question en tant qu’entrepreneur millionaire hein… donc qu’on vienne pas me dire que je fais mon gaucho effarouché)
A l’instar du « copyleft », il faudrait une sorte de label auto-attribué indiquant le non-statut et la non-structure tout en étant indicateur de la dimension purement publique (dans le sens de « la chose publique ») de ces projets.
Pas facile de mettre un mot sur ce qu’on ne définit pour l’instant que comme la négation d’autre chose.
Mais ça n’est pas un espace vide. Ca existe. Et lui donner un nom permettra d’en véhiculer le sens.
Comment qualifie-t-on/organise-t-on/reconnait-on ces communautés de développeurs sans tomber dans le piège de la création de structures associatives/corporatives ?
Comment fait-on pour « travailler pour la République » sans hériter des tares de l’administrations et en évitant l’institutionnalisation ?
Comment anime-t-on un tel écosystème ?
Comment gère-t-on ces projets technologiques sans que leur gouvernance ne viennent de facto supplanter le système politique qu’il prétendent « combattre » ? Autrement dit, comment s’assurer qu’on ne remplace pas une oligarchie institutionnelle par une oligarchie de développeurs ?
Tous les projets auto-labelisés devraient par exemple respecter les principes suivants :
- gratuit et open source : le travail est fait pour la République, il est donc public, gratuit pour tous, ouvert à tous, et est la propriété de tous ; les contributeurs sont des bénévoles qui oeuvrent pour la République ; cf le label évoqué dans « Chantier C » ci-dessus
- modularité et KISS : les outils doivent faire une chose et une seule, ne pas faire un gros projet fourre tout dont la gouvernance sera nécessairement centralisée et qui pourrait voir naitre un débat politique qui prendrait le pas sur les arguments scientifiques
- interopérabilité : les outils doivent commmuniquer entre eux à des formats standards, reposer le plus possible sur des outils standards, largement utilisés dans l’industrie et maintenus par d’autres
- pas d’infrastructure : éviter à tout prix de déployer sa propre infrastructure, qui coutera du temps et de l’argent, mais profiter un maximum de tous les services en ligne gratuits (github, travis-ci, etc…) ; tout en tâchant de conserver la portabilité autant que faire ce peut
- décentralisation : privilégiée les approches décentralisées et sans tiers de confiance
Autres réponses
Sans le chantier A, l’outil de débat en ligne n’aura aucun intérêt et ne sera pas très puissant.
De plus, l’outil de débat existe. Ca s’appelle la vraie vie et le Web.
On peut y diffuser des vidéos, des pétitions, des blogs, etc… tout gratuitement, tout diffuser sur des réseaux sociaux avec des 100aine de millions d’utilisateurs.
Ca n’est pas par ce que ça ne correspond à une certaine vision du débat que ça n’est pas du débat.
Et l’outil numérique qui sera conçu, quel qu’il soit, sera toujours moins riche que le Web dont il sera par définition un sous ensemble.
Lorsque Lessig dit « code is law », il dit aussi (pour faire simple) qu’Internet est un « pays » et que l’ensemble du code qui le constitue en est la constitution/la loi. Il ne faut pas oublier de regarder et nommer ce qui existe avant d’inventer autre chose.
Créer un outil de débat c’est créer l’outil qui définit ce qu’est un débat et comment il fonctionne.
Créer un outil de débat c’est donc par définition animer le débat.
C’est ce que Lessig entend d’ailleurs par « code is law ».
Et c’est très bien.
Des gens prennent du temps pour organiser des rendez-vous en ligne (tous les lundis pendant presque 6 mois) et physiques (5 hackathons ODN l’an dernier).
Ca ne sont pas les occasions qui manquent. C’est à chacun de faire l’effort d’ordonner ses priorités.