Il existe de rares moments où la lecture d’un texte d’opinion, l’écoute d’une analyse, vous font prendre conscience de l’absurdité d’une « évidence » que vous n’aviez jamais questionné jusque la. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai lu l’excellent billet sur l’entre deux tours présidentiel de Frédérick Lordon : http://blog.mondediplo.net/2017-05-03-De-la-prise-d-otages
Je résume une partie de son analyse : il fustige les média et les diverses personnalités qui osent juger ceux qui auraient décidé de voter blanc, de s’abstenir ou pire, de voter Marine. « L’injonction hystérique mêlée d’hypocrisie » à faire barrage au fascisme, de ceux-la même qui sont les causes de la montée du FN et qui prennent clairement en otage les millions d’électeurs qui ne sont pas satisfait par les règles institutionnelles qui leur imposent ce choix. Et viens ensuite ce qui m’a réveillé : « le vote [institué] comme pratique atomisante, condamnant les individus à l’insignifiance microscopique, pour leur faire porter ensuite, séparément, la responsabilité d’un résultat macroscopique ». « Le désir de dépasser cette condition par l’action coordonnée ne trouvera jamais aucune réponse dans l’isoloir ». Et boum… la claque.
En effet, j’ai toujours pensé que l’aboutissement d’une démocratie « réussie », comme ce que nous essayons de faire à MaVoix, était dans l’institution de plus de vote. Qu’on me demande mon avis, à moi, citoyen politisé et pas plus idiot que nos professionnels de la politique, sur un maximum de choses. Et évidement, que ce qui me soit offert, soit généralisé à l’ensemble des citoyens qui souhaitent s’exprimer sur telle ou telle question. Bref, tout le monde peut voter, tout le temps et sur tout. Pas faux mais…
Mais tout ceux qui s’intéressent de près à la question du vote, savent très bien que la manière dont on vote, l’algorithme utilisé pour choisir l’opinion « gagnante », est d’une extrême importance. Alors on cherche d’autres manières de voter : méthode de Condorcet, jugement majoritaire… pour pallier aux problèmes du scrutin majoritaire à 2 tours. Réflexions intéressantes, cruciales même, mais… insuffisantes !
Car peu importe le système de vote mis en place, il reste un système de vote individualiste où le votant est seul face à sa conscience, où il agit sans construire ou utiliser une intelligence collective. Il ne peut que supputer, en tant qu’agent individuel, ce que les autres pensent et établir sa stratégie électorale en fonction de cette analyse parcellaire, bancale, hasardeuse…
Prenons un exemple concret. Pour un électeur de gauche (que je suis), l’idéal de résultat pour le second tour, aurait été que Macron batte Marine, mais avec une belle marge et avec le plus de blancs possible. Un résultats à 95% Macron, 5% Marine, mais sur seulement 10% des votes exprimés et donc, 90% de blancs… voilà ce qui m’aurait « satisfait » (vis à vis du scrutin proposé). Mais que puis-je faire en tant qu’individu isolé, contraint à une action individuelle et sans connaissance précise sur la stratégie employée par les autres acteurs ? Par l’acte du vote aveugle et individuel, nous perdons la possibilité d’établir une intelligence collective, une concertation.
Et c’est comme ça pour beaucoup d’exemples.
Que celui qui a voté au premier tour de ces élections présidentielles en fonction de ses convictions profondes et non en fonction d’un calcul savant de probabilité de victoire, basé sur des estimations sondagières (plus ou moins pertinentes) me jette la première pierre.
Du coup, j’en viens (enfin), à ma proposition : pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas construire le vote d’une manière plus fluide ? Plutôt que d’isoler le votant à un instant t, sans regard sur l’état de la pensée collective, essayons de voter différemment. Je propose que les résultats d’un vote soient connus en temps réel et que les votants puissent modifier la valeur de leur propre vote, au fur et à mesure que se dessine la pensée de toutes et tous. Le résultat final et global étant, dans l’idéal, l’instant où les opinions se sont figées. Dans la réalité concrete et à cause de la finitude des choses, et bien… on peut toujours fixer une deadline (par exemple, le jour où la loi est votée par nos députés augmentés).
Alors certes, dans de nombreux cas, peu m’importe l’avis des gens. Personne ne fera voter POUR la peine de mort (vu qu’on aime bien cet exemple ;-))… mais la proposition que je fait n’empêchera pas ça. Ce n’est pas parce que je peux changer d’avis que je le ferais.
Et je terminerais par un exemple où ce système est déjà un peu en place et me semble très bien marcher. Dans mon travail d’informaticien, on doit régulièrement interroger de manière collective la complexité d’une tâche à effectuer. Pour faire ça, on vote tous ensemble 1, 2 ou 3 puis on regarde le résultat et on s’interroge collectivement : - Pourquoi t’a voté 2, moi je voyais plus 1 ? - Parce qu’il y a ceci et cela à prendre en compte. - A oui, tu as raisons, du coup je vote plutôt 2…
Le résultat du vote est donc co-construit.
Il me semble évident qu’un tel système de vote ne peut pas être mis en place, dans le cadre d’élections nationales « physiques » (avec isoloir, urnes…), mais je ne pense pas qu’il y ai de blocage technique dans le cadre d’un vote en-ligne via cocorico (@Jean-Marc_Le_Roux tu confirmes ?).
Dites moi ce que vous pensez de tout ça.